Je suis un peu fatigué ce soir ; j’ai traîné tard hier dans les méandres de mes lectures et je n’ai éteint la lumière qu'à la pointe du jour, alors que les premières lueurs de l’aube allumaient déjà les pics arrondis des vieux monts qui m’entourent.
Il faut donc que je me fasse à l’idée qu’une mélancolie morose s’empare de mon être et le traîne vers ton image avec plus ou moins de joie, plus ou moins d’envie de ne pas sombrer dans la tristesse de ne me baigner que dans le souvenir de ces heures que je passe avec toi.
Il faut se réjouir pourtant, parce que depuis le temps que tu es partie, chaque jour ne devrait plus être une cruelle douleur mais un rapprochement de ton retour, Nous avons passé le stade des alanguissements et des sanglots longs ; il faut songer à regarder un peu devant, plus si loin, lorsque enfin ta petite silhouette sera là, devant moi, que je n’aurais plus qu’à me pencher pour l’embrasser et me perdre à nouveau très loin de cette réalité qui m’entoure et tente de m’emporter loin de ta présence.
Il faut se réjouir parce que j’ai eu le temps de t’entendre, de te lire ; j’ai reçu le carnet que tu m’as envoyé, ces notes prises au vents et jetés comme ça, cette histoire de pierres dressées et de landes déserte qui n’entraîne que les gens à s’oublier pour un autre ailleurs merveilleux où le temps n’a plus de prise, où les instances ne sont plus là pour régir la vie de ceux qui s’y trouvent trop à l’étroit, où le rêve est maître et laisse à ces disciples le loisir de s’animer enfin de cette vie qu’ils désirent suivre pour mieux se sentir vivant.
Il faut se réjouir parce que le temps n’est qu’une mesure qu’on peut outrepasser par la puissance de cette chose qui bat et que tu as réveillé dans ma poitrine, qu’il n’est rien face à la force des sentiments que tu as relevé et qui s’envolent à présent pour tisser un bouclier de couleurs au dessus de la grisaille du monde, pour mieux nous protéger, nous ébahir et nous envoler.
Il faut se réjouir parce que tu seras bientôt là, que je pourrais encore me perdre dans ton regard, observer cette vie qui t’anime, m’allumer aux étincelles de ces prunelles qui pétillent lorsqu’elles me voient, qui demandent et qui attendent tellement en offrant encore plus.
Et pourtant.
Pourtant ce soir ton absence se fait sentir, j’ai ton galet posé à quelques pas de moi qui m’observe, cadeau d’une autre époque, d’un Avallon où je ne suis pas.
Et si vous vous étiez perdue dans le monde de vos rêves ? Et si vous ne reveniez pas ? Et pourquoi faut il que ces saloperies de questions pernicieuses s’emparent de moi parfois pour mieux appuyer là où ça fait mal, laisser planer un voile sombre au dessus de la confiance énorme que je t’ai donné, juste pour s’amuser de me voir me renfrogner, me replier sur moi et grincer des dents en ne souhaitant pas réfléchir à l’endroit où tu te trouves, ni à ce que tu fais. Pourquoi cette peur ineffable enfouie dans la profondeur de mon être qui remonte à la surface pour me murmurer sadiquement que je peux encore te perdre pour on ne sait quelle raison, que tout les mots et les gestes sont là mais que tu es absente.
Ce soir je vais dormir, rêver encore que tu reviens et que je t’aime toujours, que tu restes avec moi et que le train ne t’emporte pas à la fin. Ce soir je vais attacher les images de toi dans un coin de mon âme et les brusquer un peu pour qu’elles ne partent plus lorsque vient le réveil. Ce soir je vais lier ton être encore un peu plus profondément à moi pour ne pas qu’il puisse penser une seconde que je m’amuse mieux sans lui que lorsque tu es là.
L’amour c’est chimique, ça s’estompe avec le temps. Le ressenti physique oui, peut être voir sûrement, je ne jouerai pas à parier contre une laborantine reconnue ; mais le sentiment, la force de l’être et la puissance de l’âme, les pensées toujours en mouvement, l’art d’aimer et le ressenti ancré au fond de soi, cette partie encore inhérente qu’on ne comprend pas vraiment et que les psychologues étudient encore…
Non. Tu me manques. Et ce n’est pas que biologique, c’est encore ailleurs. Et c’est, en fait, ce qui me fait peur.
J’ai du me perdre en chassant, je suis tombé dans un piège géant. Maintenant, il faut que je me sauve, que je m’évade, que je redevienne sauvage !
A moins que je ne trouve bien d’être comme ça.