Lettre -1-

Je vous ai écris tout à l’heure. A la main, sur papier, pour de vrai.

Maintenant je me tâte à vous envoyer la lettre, sachant que les délais de livraisons entre nos deux pays (si lointains) sont si compliqués que vous risquez d’être revenue et que je vous ai vu avant même que vous ne receviez la missive. Et dans ce cas, la fin de la lettre ne voudrait plus dire grand chose je pense, on ne saurait pas « si ».

J’en ai bavé pour rédiger ce truc. Oh pas que les idées ne venaient pas, ni que je craignais les conséquences de mon orthographe déplorable sur vos rétines déjà si abîmées mais…
Vous savez que je n’avais pas tenu de crayon depuis un moment lointain ? J’ai pris l’habitude de taper des lettres à toute vitesse sur le clavier de cette merveilleuse machine qui trône dans les domiciles où je vis et je n’ai plus de circonstances nécessitant l’usage de plume. C’est triste me direz vous, on peut voir à votre calligraphie que vous-même avez encore un joli outil par chez vous et que vous savez le manier sans trop de difficulté. Et bien sachez que premièrement, je n’avais plus de plume moi-même. Elle a du disparaître dans les méandres d’un déménagement de trop. En fait je pense savoir où elle se situe actuellement mais je n’avais pas prévu de vous écrire ce jour et je n’avais donc pas pensé à passer là où se trouvent mes affaires pour mieux l’utiliser. D’autre part, la pauvre est si inutile depuis tellement de temps que je doute qu’elle puisse du premier coup se lancer dans l’emplissage de lignes blanches de sa fine ouverture ourlée.
En relisant votre lettre (en y jetant un œil plus précisément puisqu’il s’agit là juste de forme et non de contenu) ; je me dis tout de même que c’est dommage d’avoir choisi la facilité en prenant le cours du temps et en m’évadant dans l’écriture virtuelle. Après tout, c’est beau un papier emplit d’encre sombre, ça ressort mieux à la lecture que quelques lettres caractère gras ou fin, style « Times new roman » que n’importe quel imbécile est capable d’utiliser.

Mouais. Je me dis donc qu’il faudrait peut être que je me botte les fesses et que je la nettoie cette plume, au moins pour lui rendre hommage sur toutes les années où elle m’a suivit, pour voir si elle a encore des choses à dire, si elle se rappelle de toutes les bêtises que nous avons écrit ensemble à la faveur des devoirs demandés, à la lueur d’une lampe de chevet, à la source de ces sentiments qui me berçaient alors. Je me souviens avoir un cahier qui traîne avec plusieurs dizaines de textes tous écrits de son encre, dont la fraîcheur n’est plus de premier ordre mais où je sais reconnaître son trait et sa douceur.

Je vais voir. Si la nostalgie persiste, il y a des chances pour que je la ressaisisse et que je m’octroie le luxe de lui faire cracher à nouveau quelques mots, quelques phrases, dessiner des lettres, calligraphier des idées.

Parce que oui : c’est plus rapide ainsi, c’est plus pratique aussi, les mots fusent à la vitesse des idées qui traversent mon esprit (je m’en suis aperçu tout à l’heure encore en écrivant, j’avais parfois du mal à terminer un mot avant d’attaquer le suivant, trop habitué à taper vite et voir les lettres défiler sur l’écran). Mais ça manque de poésie quelque part. J’ai presque honte de vous l’envoyer cette lettre en fait, lorsque que je voie ce que mon écriture est devenue. Je ne l’ai pas vraiment reconnue. Elle a disparue derrière un système informatique qui m’amuse mais dont je m’aperçois avec horreur qu’il a perverti mon jeu de main.

Est-ce vraiment si détestable si on regarde ce que me permet l’ustensile que j’agresse allègrement actuellement pour me permettre de conserver les idées que je souhaite vous voir lire ?
Je ne sais pas.
En fait c’est de graphisme que je parle. Alors que c’est vous qui dessinez entre nous.

Je me contenterai donc du contenu et non de son support.

…
Ou pas.